La crise cachée de l'éducation en Afrique

La crise cachée de l'éducation en Afrique

par Richard CHARRON,
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La crise cachée de l'éducation en Afrique

unesco

Introduction : Plus d'enfants à l'école, mais apprennent-ils vraiment ?

Au cours des dernières décennies, l'Afrique a souvent été citée comme un exemple de succès en matière d'accès à l'éducation. Les taux de scolarisation ont augmenté de manière spectaculaire, et le taux de non-scolarisation a considérablement diminué, passant de 36,6 % en 2000 à 19,2 % en 2023. Ces chiffres ont nourri un optimisme généralisé. Cependant, un examen plus approfondi révèle que les progrès ont largement stagné ces dernières années, masquant une réalité bien plus préoccupante.

Mais que se passe-t-il réellement à l'intérieur des salles de classe ? Derrière les statistiques encourageantes sur les inscriptions se cache une crise plus profonde et moins visible : une crise de l'apprentissage fondamental. La majorité des enfants qui fréquentent l'école n'acquièrent pas les compétences de base dont ils ont besoin pour réussir. Cet article révèle quatre des conclusions les plus surprenantes et les plus marquantes du "Rapport Spotlight 2025" de l'UNESCO, qui met en lumière les défis systémiques auxquels l'éducation africaine est confrontée.

1.       Le constat brutal : Seul 1 enfant sur 10 maîtrise les bases en fin de primaire

Une nouvelle étude, qui harmonise plusieurs sources de données sur l'apprentissage, livre un verdict sans appel. Parmi les élèves qui parviennent à la fin du cycle primaire en Afrique, seuls 13,4 % atteignent le niveau de compétence minimum en lecture et en mathématiques. Ce chiffre, déjà alarmant, doit ensuite être ajusté pour tenir compte du fait qu'un enfant sur cinq n'achève même pas le cycle primaire. Le résultat final est stupéfiant : sur l'ensemble du continent, seulement 1 enfant sur 10 atteint la fin du primaire en ayant acquis les compétences de base

Concrètement, cela signifie que la grande majorité des enfants qui sortent du système scolaire primaire ne possèdent pas les outils fondamentaux nécessaires pour poursuivre leurs études, entrer sur le marché du travail ou s'épanouir pleinement. Le rapport souligne la gravité de cette situation avec une force rare.

"L'engagement mondial en faveur de l'éducation universelle sonne creux lorsque les enfants n'apprennent pas."

Cette faille dans l'apprentissage fondamental n'est pas seulement un problème éducatif ; c'est un obstacle majeur au potentiel futur du continent. Elle compromet directement les aspirations de l'Agenda 2063 de l'Union Africaine, qui repose sur le développement du capital humain. Sans une base solide en lecture, écriture et calcul, les générations futures auront du mal à innover, à participer à l'économie mondiale et à construire des sociétés prospères. 

Cette crise de l'apprentissage n'est pas une fatalité. Elle est le symptôme de défaillances structurelles profondes, à commencer par le pilotage même des établissements scolaires.

2.       Le paradoxe du leadership : Des directeurs d'école non formés et submergés par l'administratif On attend des directeurs d'école qu'ils soient des "leaders pédagogiques", capables de guider leurs enseignants et de créer un environnement propice à l'apprentissage. Pourtant, la réalité sur le terrain est tout autre. Le rapport révèle que seulement 19 % des pays africains exigent que les directeurs d'école reçoivent une formation formelle avant de prendre leurs fonctions. Ce chiffre ne représente pas seulement une lacune de formation ; il révèle une conception dépassée du rôle de directeur, encore perçu comme un simple administrateur plutôt que comme le principal levier de la qualité pédagogique.

Le potentiel de leadership de ces directeurs est souvent "gaspillé", car ils consacrent la majorité de leur temps à la "conformité administrative" plutôt qu'au soutien pédagogique. L'étude menée dans cinq pays pour le rapport montre que les directeurs d'école consacrent en moyenne peu de temps au leadership pédagogique. L'exception notable est le Kenya, où les directeurs y consacrent 35 % de leur temps, soit "presque trois fois plus que dans les autres pays de l'étude Spotlight", ce qui montre à quel point la norme est basse ailleurs.

De nombreuses études ont montré que le leadership scolaire est le deuxième facteur le plus important pour l'apprentissage des élèves, juste après la qualité des enseignants. En ne préparant pas et en ne soutenant pas adéquatement les directeurs d'école, de nombreux systèmes éducatifs créent un goulot d'étranglement qui empêche toute amélioration significative. Ce problème est aggravé par des processus de sélection qui manquent de transparence et perpétuent les inégalités de genre : entre 75 % et 85 % des directeurs d'école primaire en Côte d'Ivoire, au Maroc et au Zimbabwe sont des hommes.

Même les directeurs les plus compétents se heurteraient à un obstacle de taille : des outils pédagogiques fondamentalement inadaptés à la réalité des élèves, au premier rang desquels se trouve la langue d'enseignement.

3.       La barrière de la langue : Apprendre dans une langue qu'on ne comprend pas

Les preuves scientifiques sont accablantes : les enfants apprennent mieux et plus vite lorsqu'ils sont enseignés dans leur langue maternelle, surtout au début de leur parcours scolaire. Malgré cela, de nombreux systèmes éducatifs africains continuent d'imposer une langue officielle (souvent l'ancienne langue coloniale) dès les premières années du primaire, créant une barrière quasi infranchissable pour des millions d'enfants.

4.       La double crise financière : Des budgets étranglés de l'intérieur comme de l'extérieur

Pour fonctionner, un système éducatif a besoin de ressources stables et suffisantes. Or, en Afrique, l'éducation fait face à une double pression financière qui met en péril les progrès futurs. D'une part, une pression interne ronge les budgets nationaux : la part de l'éducation dans les dépenses publiques totales a chuté, passant en moyenne de 17,1 % en 2012 à 15 % en 2023. Cette baisse est souvent due aux pressions croissantes liées au remboursement de la dette publique. D'autre part, une pression externe s'exerce avec le déclin de l'aide internationale, qui a longtemps été une source de financement cruciale. Les projections du rapport sont alarmantes : l'aide à l'éducation "pourrait chuter d'un tiers à Madagascar et au Mali et de moitié au Tchad et au Libéria".

Cette double crise financière frappe un système déjà fragile et sous-financé, rendant les objectifs d'amélioration de la qualité encore plus difficiles à atteindre et compromettant les efforts pour remédier à la crise de l'apprentissage.

Conclusion : Un appel à l'action pour une transformation systémique

Ces quatre constats ne sont pas des problèmes isolés ; ils sont profondément interconnectés et révèlent une crise systémique. Nous avons des enfants qui n'apprennent pas, dirigés par des leaders non préparés, dans des systèmes sous-financés où les outils pédagogiques les plus fondamentaux, comme la langue d'enseignement, sont souvent inadaptés. Chaque problème renforce les autres, créant un cycle qui piège des millions d'enfants dans un système éducatif qui ne remplit pas sa promesse.

La question n'est donc plus de savoir s'il faut réformer, mais bien de déterminer si les dirigeants politiques sont prêts à opérer la transformation systémique requise : une transformation qui redéfinit le leadership, réaligne les ressources sur l'apprentissage fondamental et, enfin, honore la promesse faite à des millions d'enfants.